En 2024, la filière française du granulé de chauffage a 50 ans : découvrons ses pionniers !
En France, ce sont les granulateurs agricoles qui furent les premiers à produire des granulés biocombustibles, dès 1974. La première usine à produire spécifiquement du granulé de bois a quant à elle été mise en service en 1978, et il a fallu attendre le début des années 1980 pour qu’une série de nouvelles usines à granulés de bois soient créées. Puis, après des aléas de marché, consécutifs aux contre-crises énergétiques successives, la production française n’était que de 50 000 tonnes en 2004. Elle atteignit le million de tonnes tout juste dix ans plus tard, répartie entre 100 producteurs, et en 2024, la production dépassera les 2,5 millions de tonnes, répartie entre 120 producteurs, hissant le pays au deuxième rang des producteurs européens.
Les pionniers du granulé biocombustible en France
Témoignages de Bernard Piot, fils de François Piot, fondateur, avec Michel Courageot, également rapporteur de ce récit, de la CUMA de granulation de Pratz (Haute-Marne)
La coopérative d’utilisation de matériel agricole de Pratz, près de Colombey-les-Deux-Eglises, a été créée le 28 octobre 1969 par les agriculteurs du sud de la Champagne. Sa vocation était de granuler de l‘aliments pour le bétail, à partir de luzerne et de paille. Lorsqu’en 1973, le prix de l’énergie s’envole, les administrateurs décident d’utiliser une partie de leur production de paille pour alimenter le générateur d’air chaud qui sert au séchage des matières à granuler. Puis, alors que beaucoup se chauffaient au fioul domestique, ils décident de brûler des granulés de paille de leur production d’aliments pour chauffer leurs domiciles, ceux de leurs voisins et connaissances. Ainsi, dès 1974, avec une entreprise de construction de matériel agricole fondée en 1827, la Maison Dupuis à Montier-en-Der, ils vont mettre au point une chaudière à granulés avec un brûleur en fonte. Et durant une petite décennie, l’entreprise fournira ces chaudières à une cinquantaine d’agriculteurs et de particuliers du Sud Champagne, mais également à des régions voisines comme la Franche-Comté. Mais à partir de 1983, suite à l’ajout de nouveaux produits phytosanitaires sur leurs cultures, sont apparus des mâchefers dans leurs brûleurs à paille. Cette déconvenue les amènera, quelques années plus tard, à granuler de la sciure, un produit alors abandonné par les scieries ou simplement détruit dans des incinérateurs de fortune. C’est alors que commence l’acquisition d’un nouveau savoir-faire, car le bois est plus dur à granuler. Avec l’aide du constructeur Promill, ils finiront par trouver la filière avec les caractéristiques de compression qui conviennent à la production d’un granulé de bois résistant et qui brûle bien. Aujourd’hui, la CUMA de Pratz, rebaptisée plusieurs fois, modernisée et nommée Alpha Pellets dans le cadre d’un nouveau statut, est toujours productrice de granulés de bois, d’essences feuillues et résineuses mélangées.
Notons qu’à l’époque, on trouvait principalement dans l’Est de la France des granulés de bois 100 % feuillu, au diamètre de 8 ou 9 mm, des dimensions produites avec les filières disponibles à l’époque pour la granulation de la luzerne, des issues de céréales ou de la paille. J’en ai personnellement utilisé de 1995 à 1999 dans un poêle Waterford, sans aucun souci !
Témoignage de Patrick Mesnard, directeur général des Ets Durepaire en Charente
À l’autre bout de la France, la société Durepaire, implantée à Verdille dans le vignoble de Cognac, granule des produits agricoles depuis 1966. En 1974, elle a commercialisé une partie de ses granulés de paille comme combustible alternatif auprès des agriculteurs de son secteur. Pour les viticulteurs, elle a aussi granulé des sarments de vigne comme combustible. Et comme en Haute-Marne, avec le concours d’un fabricant local de matériel agricole, elle a contribué à faire équiper plus de cinquante consommateurs en chaudières à granulés Made in local. Par la suite, elle a aussi produit des granulés de bois lorsque ce marché s’est ouvert commercialement. Aujourd’hui, 50 ans après, la société produit toujours du granulé pour l’énergie, soit avec des bois d’essences résineuses et feuillues mélangées, soit avec des sarments, matières qu’elle sèche avec une chaudière automatique à paille !
Evoquons pour clore ce registre agricole, la coopérative agricole Grasasa10 située à Sainte-Sabine en Dordogne.
En 1981, ce déshydrateur de luzerne abandonne le fioul lourd comme source d’énergie de séchage pour la sciure de bois. Pour ce faire, un four à biomasse est créé de toutes pièces par les adhérents. Dès l’année suivante, convaincus des avantages offerts par l’énergie bois, les adhérents transposent ce principe pour leurs besoins domestiques et granulent la même sciure de châtaignier qu’ils mettent dans leur générateur d’air chaud. Des chaudières à granulés sont mises au point par quelques adhérents et se diffusent. Aujourd’hui, Grasasa produit toujours du granulé de bois, toujours en y incorporant du châtaignier, et se positionne comme l’un des principaux fournisseurs de ce combustible dans le sud-ouest de la France.
Les pionniers du granulé de bois en France
La société Sicsa
Lors du second choc pétrolier, en 1978, Georges Chauveau, gérant de la société Sicsa, une entreprise de valorisation de produits connexes de l‘industrie du bois en activité depuis 1911, dépose un brevet de granulation du bois et commence à en produire sur le site de son siège social à Courbehaye dans le département d’Eure-et-Loir, pour les marchés de la litière animale et de l’énergie. C’est à notre connaissance le plus ancien site de production de granulés de bois de France, une activité qui a perduré dans l’entreprise sur le marché de l’énergie jusqu’en janvier 2015.
Durant les années 1980, une série d’usines uniquement dédiées à la production de granulés de bois à vocation énergétique apparaît dans la moitié Est de la France. La première est Cogranal en 1981 à la scierie Braun de Gresswiller près de Mutzig, une scierie qui intégrera par la suite le groupe Siat-Braun, aujourd’hui gros producteur de granulés de bois.
Témoignage de Bernard Pourcelot, ancien gérant de Bois Energie de Franche-Comté.
Dans cette série, il y eut Cogra Doubs à Arc-sous-Cicon près de Pontarlier, mise en service également en 1981. Toujours en fonctionnement, elle a changé plusieurs fois de propriétaire et de nom : Cogra Doubs, Bois Energie de Franche-Comté, SOFAG et aujourd’hui Alliance Pellets.
Bernard a assez rapidement accompagné son frère François dans l’aventure Cogra Doubs. Quelques années plus tard, lorsque son frère jette l’éponge, c’est Bernard, le passionné de technique, qui reprend le flambeau. Et le schéma de distribution locale des granulés, organisée par le producteur lui-même, comme observé en Haute-Marne, en Charente et en Dordogne, s’est également répété. Car cette solution de chauffage n’étant ni connue, ni structurée, celui qui produisait du granulé devait faire le travail jusqu’à l’utilisateur, y compris lui fournir l’équipement de combustion qui n’existait nulle part dans le Monde à cette époque. Pour ce faire, Bernard a commencé à travailler avec les brûleurs Dupuis, après leur disparition vers 1983, il a produit ses propres brûleurs : il en placera plus d’une centaine dans le Haut-Doubs. Par la suite, c’est le constructeur de chaudières à bois La Jurassienne qui prit le relai. Et contrairement aux autres exemples déjà cités, pour le développement de son parc de chaufferies, Bernard fut fortement aidé par l’AFME, puis par l’Ademe de Franche-Comté, alors dirigée par Gérard Magnin, dont les services n’ont pas ménagé leurs efforts pour promouvoir la solution et aider financièrement les opérations. De nombreuses chaufferies collectives ont ainsi vu le jour dès le démarrage de l’usine, comme celles du lycée Xavier Marmier à Pontarlier, de la caserne Ruty à Besançon, de l’école Saint-Joseph à Levier, et des HLM de Morteau et de Maîche, ceux de Brégille et des Campenottes à Besançon, ceux des Mésanges à Poligny. Et comme ce producteur ne vivait que sur le marché du chauffage, contrairement aux collèges agriculteurs, sans cet appui, l’aventure aurait tourné court.
Toujours dans cette décennie, ont suivi Cogra 48 à Mende en Lozère en 1982, Cogr’Alpes à Gap dans les Hautes-Alpes et Cengrador à Nuits-Saint-Georges en Côte-d’Or en 1984, et aussi Antigaspibois à Saint-Laurent-du-Pont en Isère et Fontaine des Auges à Gendrey dans le Jura. Malheureusement pour ces pionniers, propulsés dans l’aventure par la hausse des prix des énergies fossiles durant les années 1970, une décennie d’énergie bon marché va suivre à partir de 1986. Bernard Pourcelot se rappelle qu’en 1999, le cours du baril de pétrole était descendu à 12 $ ! Cette situation économique va ruiner un grand nombre de producteurs de granulés de bois en France et dans le Monde, et en 2005, au redémarrage d’une nouvelle période de rentabilité, bien peu auront survécu, faute d’une taxe carbone comparable à celle mise en place en Suède.
La France deuxième producteur européen de granulés de bois en 2024
Depuis 2005, la production française est en croissance continue et a même connu une accélération brutale en 2022-23, suite à la crise énergétique post-covid 19 et à la guerre en Ukraine, deux événements qui ont fait flambé les prix de toutes les énergies. Et comme indiqué en introduction, en 2024, la production française dépassera les 2,5 millions de tonnes, hissant le pays au deuxième rang des producteurs européens.
Frédéric DOUARD
Pour en savoir plus :
- Durepaire : article paru dans le Bioénergie International n°63 d’octobre 2019
- Grasasa : article paru dans le Bioénergie International n°38 d’août 2015
- Histoire de Sicsa : www.sicsa.fr/societe-sicsa/historique
- L’histoire internationale de la filière granulé biocombustible
> Découvrir l’ensemble des producteurs français de granulés biocombustibles sur notre atlas en ligne